texte : John Riccardi    / art: Patrick Rocard    / musique: Alastair Stout   / traduction: Bernard Hoepffner

Martel en tête, dos brisé, je m’embarque sur la première pente du sommeil. Depuis le centre du moi jusqu’au centre de l’être, je cherche, dans la douce quiétude de la prière nocturne, le voyage miraculeux dans l’immatériel. Et pourtant, aux sources de la pensée s’ouvre un orifice. Comme par une fente dans un volet, je vois des appendices préhensiles, des surfaces visqueuses, des langues rêches, des yeux cartilagineux gris-blanc pris dans la graisse, des peaux écailleuses toute craquelantes de forces nouées. Des œillades, d’ignobles intentions inscrites en lettres immenses et des grimaces d’auto-célébration annoncent un hôte immonde. Une vague maladive de colère, de malédiction et de hargne, un grondement semblable à celui d’intestins agités bouillonnent de malveillance au centre de ma prière.



J’enlève les oreillers de sous ma tête, étire mon corps et compte à la manière d’un rosaire mes os couchés. Un faisceau d’intentions, davantage un rythme ailé emprunté à la physique, recouvre d’un flux de vagues infinies l’humble et fantastique temporel. La grande liane de la communion, palpable tourbillon d’éther et d’étoiles, s’étend entre moi et toutes les distances. J’entonne un hymne silencieux fait d’admiration, d’une supplication de miséricorde, d’espoirs entretenus, d’un désir d’orientation.

Tout le reste à présent est sans existence, tout excepté mon épouse qui dort près de moi, que je confie à l’attention de mon créateur, que j’abandonne à la sollicitude divine. Et de même mes enfants, et enfin moi-même; sur ce, les vœux se scellent; l’âme faillible bondit dans la paix de Dieu et s’attelle aux tâches qui sont les siennes. Je cherche l’oreiller à tâtons, y enfonce ma tête et laisse mon esprit libéré marauder au milieu des rêves.

 

 


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