La sève fraîche circule avec sérénité chez les plantes sédentaires. Le royaume du végétal mène depuis toujours une lutte héroïque pour garder le droit d'exister, résistant pied à pied et livrant des combats désespérés sous des rafales d'armes chimiques. Les prédateurs sont repoussés, ou bien supportés, tandis qu'une subtile guerre d'usure lentement les déstabilise, si bien que cette turgescente ténacité dont font preuve les plantes leur a valu la réputation de combattants stoïques.

II y eut un été, cependant, où une invasion particulièrement dévastatrice de charançons menaça de durer. Martyrs d’une voracité sans bornes, les pauvres victimes furent mâchées et remâchées au point d'en perdre le goût de la vie. C'est alors qu'une fleur parmi elles décida, dans son affliction, d'en finir avec cette torture et de détourner ses pétales de la face du soleil. Elle choisissait cette grève de la faim solaire comme dernier recours, ne pouvant plus supporter ces bruits de mandibules qui broyaient, brisaient et brassaient sans cesse.

                    Ce changement d'orientation de la pauvre corolle mourante eu pour effet de déclencher chez elle une étrange transformation. Son calice, habituellement protégé du soleil, se dessécha et se vida, maintenant qu'il était directement exposé aux rayons de l'astre du jour. II prit la forme d’une gousse effilée ressemblant à un bec surmonté de deux ou trois pétales. Le tout évoquait, à s'y méprendre, une tête de perroquet; ce qui eut comme conséquence d'éloigner les charançons, pressés de fuir cette fleur difforme. Les perroquets avaient en effet l'habitude de se régaler de ce genre de coléoptères qui, en revanche, avaient appris à se tenir éloignés de leur vue. Les autres plantes ne manquèrent pas de remarquer l'énorme avantage que conférait à l'une de leurs semblables ce simple changement d'attitude. En un clin d'oeil, elles eurent presque toutes abjuré leur héliotropisme. Vue d'avion, la prairie ressemblait à un vaste campement de perroquets qui tous regardaient vers l'ouest quand le soleil se levait, et vers l’est quand il se couchait.

 


 

texte| John Ricciardi
traduction| Gerard Petiot    

 


 

 

 

     art | Patrick Rocard   
  
musique | David Murphy   


                   Les insectes auraient peut-être fini par percer le mystère si un vol d'authentiques perroquets n'était pas venu voir ce qui avait bien pu attirer ainsi leurs congénères. Nos volatiles se régalèrent donc des charançons égarés, prenant un plaisir certain à jouer à cache-cache avec eux entre les tiges de leurs pseudo-cousins herbacés. Tout près de là, vivaient les membres d’une tribu pour qui les plumes de perroquet étaient un ornement sacré qu'ils utilisaient dans leur cérémonies. Lorsque leur parvint la nouvelle de cet étrange mariage entre l'aile et la corolle, ils furent dans tous leurs états. Le soir même, à la faveur de la lune, et une fois exécutées les danses destinées à apaiser d'éventuels mauvais génies, ils se glissèrent hors du camp afin d'aller décapiter toutes les fleurs et récolter le miraculeux feuillage dont ils feraient des guirlandes pour leurs autels.

                 Il s'ensuivit que les tiges, ainsi privées de leurs sommités fleuries, furent d'accès facile pour les charançons. Une fois à l'intérieur, ces insectes purent creuser une galerie jusqu'aux tendres racines de la plante. Les perroquets, eux, s'aperçurent qu'en ouvrant en deux, ces tubes creux et sans tête ils pouvaient y trouver les charançons et, d'un coup de bec, s'en faire un déjeuner, comme ils l'auraient fait dans un fétu de paille. Au bout du compte, la prairie ne fut plus qu'un vaste champ de bataille. Des tiges éventrées étalaient sur le sol les restes de leurs fibres comme les rayons d'une roue dont le centre était leur racine en train de dépérir; on aurait dit qu'elles cherchaient à parodier le soleil. Les plantes qui restaient renoncèrent alors à leur déguisement et tournèrent résolument leurs pétales vers le zénith. Leur malheur avait eu beau naguère être grand, rien ne s'avérait plus douloureux que de chercher à en sortir.

 

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