![]() | ![]() | ![]() |
![]() ![]() |
texte: John Riccardi / art: Patrick Rocard / traduction: gerard petiot
![]() |
|
"Il ne dormait jamais, ne s’arrêtait jamais. Il devait déjà être au courant.Une diseuse de bonne aventure l’avait prévenu qu’il mourrait jeune. Elle m’avait dit que j’aurais au moins trois maris. On venait de se marier. Ca nous a fait rire, en redescendant l’escalier. Je me souviens quand on est ressortis de chez elle. Il a dit: "Tu vois, t’as intérêt à bien t’occuper de moi". Pour nous, ça n’était pas autre chose qu’une plaisanterie. Je me demande s’il s’en souvenait. Je crois qu’un jour il en a parlé. En tout cas, il a tout fait pour lui donner raison. Le tabac, la boisson, toujours prêt à prendre du travail, à voyager, à recevoir. Dès qu’il avait un moment de libre, c’était pour aller au théâtre, ou au golf. Jamais de repos … c’était la seule chose qu’il refusait. Quand il est mort, j’étais furieuse, une fois que j’ai eu réalisé, après le choc. La nuit, je criais après lui, pour qu’il le sache, même s’il n’était pas là. Pour lui dire qu’il me laissait avec les enfants, qu’il me laissait seule. Ca a fini par lui monter à la tête, ça l’a conduit tout droit sous les taupinières." |
|
Il y en a une qui écoutait aux portes et qui s’est éloignée à ce moment-là.Elle en savait assez maintenant pour que les yeux commencent à lui piquer, pour avoir envie de se boucher les oreilles et ne plus entrendre sa mère. Son haleine avait mauvais goût. Elle avait un drôle de petit bourdonnement dans les oreilles. Ce matin-là, la fillette venait de voir quelque chose qui ressemblait à son père, ne l’avait pas observé de près, mais savait qu’il était dans les parages. Elle avait trébuché sur un caillou, s’était prise les pieds dedans sans faire attention, dans un jardin public. Elle avait aussitôt changé de direction et n’avait pas fait dix pas qu’elle butait à nouveau dessus, comme si elle avait tourné en rond. Elle avait regardé autour d’elle pour se repérer, puis avait examiné la pierre. Ce n’était pas autre chose qu’un caillou, un monolithe insignifiant avec des bosses sur les côtés, comme s’il allait lui pousser des petites ailes ou des oreilles. Là, devant cette chose minérale, inanimée, elle avait retrouvé sa présence, son visage tout égratigné, ses mains gigantesques, ses grandes narines noires au bout de son nez. |
||
![]() |
Elle lui avait demandé: "Qu’est-ce que tu as bien pu faire, depuis que tu es parti?"Elle n’avait obtenu aucune réponse, et pourtant il était bien là. "Tu étais très loin, occupé à faire quelque chose d’autre, même en étant mort?" Elle n’avait rien pu savoir; rien que le bruit des grandes herbes qui lui grattaient les jambes. Elle retournerait voir ce caillou. Ce serait à son tour de crier. On avait dû la prendre pour une pauvre petite à l’esprit dérangé en la voyant errer ainsi dans le parc, radotant à voix haute. Elle le mettait plus bas que terre, critiquait son manque d’égards, se moquait de lui pour s’être montré insensible et avoir écouté servilement cette vieille sorcière et ses prophéties diaboliques. Au comble de l’amertume, elle s’était couchée par terre, la tête entre les bras. |
|
"Qu’est-ce que je vais devenir?" murmurait-elle.-A toi de dÈcider, rÈpondit une voix. Elle releva la tÍte.- Tu n’avais pas besoin d’écouter.-Ecouter quoi?- Le langage qui vient d’ailleurs. Les prédictions n’en ont pas d’autre.- Et toi?- Tout ce que je suis capable de faire, c’est de parler. Ecoute-moi si tu en as envie.- Non, je ne peux plus." Quand elle est retournée dans le parc, le caillou n’était plus là. Il avait servi à construire un mur. Quel que soit le destin qu’il ait pu connaître, il était à jamais scellé sous le mortier. |
||
|
||
© Copyright 2000 Longtales, Ltd All Rights Reserved. |