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La couture reliant l’un à l’autre sommeil
et veille était quasiment imperceptible, simple poussée suivie d’un
retrait de la pénombre basculant dans l’ombre, bien plus lente et irrégulière
que le souffle de la respiration. Tandis que la para lysie,
formant doucement un précipité, refluait de son sang, l’homme qui s’apprêtait
à se lever s’aperçut que les oscillations lumineuses ne naissaient pas
en lui-même, que tour à tour la vue lui était ôtée, cédant la place
à un noir satiné, pour lui être ensuite rendue, cette fois couleur gris
perle. Se tournant sur le côté, le torse à demi redressé, il prit conscience
de la présence d’autres dormeurs.
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La
demi-lumière qui s’efforçait de naître s’avança avec un léger
frôlement puis, en se retirant, peupla la vision résiduelle de l’homme
de tourbillons antagonistes et irascibles pour revenir aussitôt envahir
l’image qui subsistait sur la rétine, multitude de points d’un très
vif éclat émanant des formes horizontales de ceux qui reposaient à ses
côtés. Les silhouettes des autres dormeurs étaient étendues comme lui-même
sur une plate-forme, la face tournée vers le sol, et il ne distinguait
pas chez
eux le moindre soupçon de mouvement de vie, ni le souffle le plus subtil.
Dans les moments où l’acuité visuelle lui était rendue,
il discernait au loin d’innombrables formes, elles aussi prostrées.
Ses articulations craquaient
comme si son corps eût été un fossile arraché à sa gangue de terre,
vestige tout nouvellement doté d’une mobilité longtemps oubliée. Pourquoi
s’était-il éveillé, et pourquoi lui seul ? Non loin de lui, une femme
gisait, inerte. Il ne voyait que vaguement ses vêtements, mais il distinguait
malgré tout une sorte de plante grimpante qui lui entravait les jambes.
Chacune des sortes d’estrades basses rectangulaires qui faisaient office
de lits semblait être d’une taille adaptée à la personne qui y reposait,
qu’elle servît de berceau à un nourrisson ou soutînt les membres d’un
vieillard.
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