texte | John Ricciardi     art | Sarah Raphael
 musique | Jason Lai    traduction | Bernard Hoepffner

The Martyrdom of St. Sebastian | Sarah Raphael

  Coupe élégante, bon tissu, le complet était beau et, du fait de quelque inversion polarisante de l’image, l’homme pour qui il avait été fait lui avait donné sa forme et sa silhouette spécifiques, sa ligne distinctive. Les jambes du pantalon tombaient bien; et pourtant son propriétaire, encore enfant, en descendant une colline enneigée en traîneau, était rentré dans le seul arbre de la pente, et s’était brisé les deux tibias. C’est ce que m’apprit son frère des années plus tard.

  Les épaules étaient puissantes et larges, bien plus que celles qui étaient apparues dans la famille depuis lors, et s’arrondissaient vers l’avant comme celles d’un athlète vieillissant. Le tissu dessinait un pli en haut du bras gauche, là où l’homme avait une énorme cicatrice creuse. On avait découpé un morceau d’os malade de l’épaisseur d’un pouce dans son humérus, cela aussi pendant son enfance. Ainsi s’expliquait le fait que la manche gauche du complet était plus courte que la droite. Un moule d’homme puissant était posé surThese Are Merely Instances | Sarah Raphael un cadre fragile. La ceinture du pantalon était large et légèrement usée par la masse que représentaient les quatre enfants que l’homme avait procréés – ensemble, les quatre ne pouvaient pas faire le tour de sa poitrine – de sorte que le jeu de l’explorateur s’attaquant aux ours aurait dû s’appeler l’ours et les explorateurs.

 

 

  Le complet n’avait pas grand-chose d’autre; hormis des boutons et des revers délicatement surpiqués dont un était replié sur un paquet en papier rouge de cigarettes sans filtre. Ces dernières avaient certainement fatigué le cœur qui battait sous la veste, avancé une mort précoce. La déformation de la poche étroite qui contenait le stylo brillant avec lequel noter des équations aéronautiques et le tranchant d’un pli de pantalon adapté aux présentations commerciales étaient dans le tissu deux indices du métier du propriétaire. De la poussière sur les poignets indiquait des voyages lointains, des dîners avec ses enfants, des fibres laissées par les étreintes de sa femme. Si un de ses fils avait eu une carrure suffisante pour porter ce complet, la veuve de l’homme ne l’aurait pas donné à une vente de charité des années plus tard.

 




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