Les
premières notes éclatèrent derrière des paupières
encore entrouvertes et les firent tressaillir, voleter de surprise.
Elle était un peu musicienne, absolument pas compositeur. Quelle était
cette musique qui venait sintégrer à son sommeil? La
mélodie séloigna dun violon, fut reprise en contrepoint
par un bois et fit onduler des rayures horizontales derrière le cône
irradiant dun hautbois. Extasiée, elle ne pouvait plus
bouger un cil. La basse mit des fondations sous létrange thème
exotique, quelque chose quelle navait encore jamais entendu; puis
les cuivres enfoncèrent des intervalles harmoniques, semèrent des
striations entre les notes. Avec
syncope et rythme, le son séleva et samplifia à la manière
dun hublot qui souvre pour laisser entrer la mer. Elle
dut lutter contre la tentation darrêter sa vertigineuse chute libre,
puis la musique du début reprit le dessus, pleine de résonances
profondes et riches, se divisa en quatre voix de fugue qui se pourchassaient,
plongeaient et traversaient les registres comme des marsouins et des poissons
volants. |
Tandis
que la somme des instruments gonflait, elle se demandait quel art dans sa tête
permettait ainsi à ce grand arc de sons de samplifier sans limites
et datteindre la transparence aux sensations somatiques, de disparaître
dans cette dérive orale. Lémotion, telles des
cloches de couleurs pures, lançait des tons saturés, perdait de
lépaisseur, scintillait diridescence avant de séteindre
aux sommets pour rebondir en denses explosions qui brûlaient au loin et
formaient de fragiles trajectoires. Les
roulements des percussions et les grincements des altos, les notes profondes de
violoncelle et les ululations des bassons se mêlaient, hurlaient ensemble
comme des chats sauvages tandis que les lignes de basses modulaient les clés
et variaient les modes aussi habilement que des amants accouplés.
La dynamique sélança en spirale jusquà ce que
des sons isolés retentissent et saccordent aux résonances
complexes, entourent des notes dures et creuses de silences précis dans
lesquels sa sensibilité vibrait et sarrêtait
frissonnait
et sarrêtait
éclatait, tremblait, répondait
et sarrêtait. Sarrêtait.
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Lorsquelle séveilla, le soleil laissait
tomber des prismes dans ses yeux. Un poing impatient à sa porte annonçait
le matin du samedi. "Jarrive",
cria-t-elle à son petit ami venu la chercher comme convenu. Elle laissa
sa tête retomber sur loreiller et se mit à rire. Même
après que la symphonie privée de la nuit précédente
se fut emparée delle tout entière, elle ne se souvenait plus
dune seule note. Patience. Assez de mauvaise humeur derrière la porte.
Oui, décida-t-elle en cherchant sa robe de chambre, elle garderait ce garçon,
et pas la peine de shabiller, elle devrait ouvrir la porte, le saisir par
sa chemise et le jeter, tout étonné, sur le lit ensoleillé
près de la fenêtre où la musique jouerait encore.
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