texte
| John Riccardi art
| Patrick Rocard & Maurizio Cosua
musique
| Jason Lai traduction
| Michelle Tran Van Khai
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AVANT
que l’homme eût atteint l’âge de vingt-et-un ans, rien ne laissait
présager le sort qui l’attendait. C’est à cette époque que, alors
qu’il se trouvait sur le versant d’une montagne, il fut brusquement
aspiré dans les airs ; il fut pris de spasmes sous l’effet du
choc, puis projeté à plat ventre par terre comme un vulgaire poisson.
Des grêlons lui cinglaient le dos. Pareil à un chien habitué aux
mauvais traitements qui aurait trouvé un nouveau maître gentil,
il rampait servilement et remuait la tête, stupéfait d’avoir été
frappé par la foudre et de s’en être tiré vivant. Il palpa délicatement
ses membres puis son torse et constata qu’il était parfaitement
indemne, même si sa peau était légèrement roussie. L’orage atteignit
son paroxysme pendant que lui, pris dedans, se faisait tout petit.
Aucune possibilité de fuir ne s’offrait à lui ; il ne lui restait
qu’à accueillir en lui-même la patience ou la folie. La soumission
lui tenant lieu de refuge, il tint bon grâce à un sentiment de
vénération. Cette aventure dont il avait réchappé par miracle
lui fournit une anecdote à raconter durant l’année qui suivit,
et le moindre grondement de tonnerre lui donnait parfois le frisson.
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PLUS
tard, alors qu’il se trouvait en bateau sur une mer houleuse,
un feu Saint-Elme le frappa. La sphère qui crachait le feu forma
une nasse d’étincelles et descendit telle une araignée le long
du mât jusque sur le pont pour le prendre dans ses rets. Ainsi
touché de nouveau, il fut cette fois atteint de brûlures aux jambes,
et, riant d’un rire forcé pour signifier qu’il n’accordait aucune
foi au dicton « Jamais deux sans trois », il manifesta une crainte
mêlée de colère, comme un frelon bourdonnant.
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LORSQUE
le troisième éclair, lâché sur lui depuis des cieux sereins, le
jeta à bas de son cheval, il réagit cette fois comme un malade
qui s’entend dire qu’il est atteint d’une maladie incurable. Ses
joues se creusèrent ; il se mit à scruter le sol du regard afin
de ne pas fixer obstinément le ciel. Il ne pouvait s’agir d’un
caprice atmosphérique et la croyance qui veut que la troisième
fois soit toujours la dernière ne lui paraissait nullement convaincante.
La seconde de ses mésaventures avait déjà eu raison de sa feinte
tranquillité d’esprit. Il se savait désormais suivi à la trace
par la malignité, en proie à la méchanceté, déclaré débiteur en
raison de quelque effroyable forfait. Ce que c’était, il n’en
savait rien, mais quelque chose voulait sa peau. Il sonda les
profondeurs de son imagination, fit recracher de force à sa mémoire
ce que recelaient les moindres recoins de son histoire personnelle,
voulant ainsi trouver un bouclier qui pût détourner de sa trajectoire
le dessein meurtrier et déjouer la précision glacée avec laquelle
il était traqué.
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L’ATTAQUE
suivante eut lieu alors qu’il se trouvait dans une maison de campagne.
Durant les deux jours précédents, il avait senti sous sa peau
des lames de rasoir. Aussi ne fut-il nullement surpris que la
chose fût là dehors, grondant férocement. Il était affalé dans
un fauteuil lorsque le manteau de la cheminée explosa littéralement,
déversant sur la maison une pluie de feu et le contraignant à
sortir. Dénudant son torse en un geste de défi, il hurla aux éléments
d’achever leur œuvre sur-le-champ, mais ne reçut pour toute réponse
qu’un simulacre de décharge électrique qui bifurqua soudain à
l’oblique, comme si un nuage voulait faire une farce à un autre
nuage.
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LES
examens médicaux ne révélèrent aucune anomalie. De pathétiques
confessions concernant des péchés réels aussi bien qu’imaginaires
restèrent sans effet. Il n’osait entraîner une femme et des enfants
dans une existence où rôdait comme un cauchemar une possibilité
d’annihilation totalement arbitraire. Aucun moyen de transport
n’était plus sûr désormais : la cinquième fois, la foudre frappa
un avion à bord duquel il voyageait, explosa avec un rugissement,
aspirant l’appareil dans une spirale qui allait s’amenuisant.
Durant tout le temps de la descente, il fut secoué de tremblements
incoercibles, et puis soudain il était là, à genoux sur le macadam
de la piste, versant des larmes de joie parce que l’avion avait
finalement atterri sans dommage, lorsque le sixième éclair le
souleva du sol, tordit son corps en arc, et couvrit de vapeur
la piste détrempée par la pluie.
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Cette fâcheuse situation fut jugée digne
des honneurs de la presse, et son cas considéré comme un phénomène
qu’il fallait élucider, et qui méritait l’intérêt des chercheurs.
Il se vit offrir réconfort et commisération et devint l’objet
de spéculations dictées par la sympathie concernant la courtepointe
du karma à laquelle il était cousu, le long d’un ourlet de courroux
céleste. Peut-être du fait qu’un enfant trouva la mort à ses côtés
lorsque la foudre frappa une fois encore, ou peut-être parce que
les plaies du monde étaient au nombre de sept, comme les péchés
capitaux, toujours est-il qu’il mit un terme à sa danse démente
avec les champs électromagnétiques. Il comprit que l’ultime éclair
qu’il verrait, comme la déflagration qu’il entendrait peut-être,
seraient définitifs parce qu’il s’infligerait lui-même le châtiment,
qui viendrait du canon d’un revolver. En cette unique occasion,
ce fut lui qui décida de l’heure, du lieu, et de l’issue.
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