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Sa sœur, elle, avait une approche différente. Enfant, elle plissait
souvent le front lorsque venait l’heure des embrassades du soir, puis
elle ouvrait tout grand les bras, les lèvres et les yeux, son large
sourire impérieux exigeant un dernier baiser.
« Viens ici, » disait-elle. « J’ai quelque chose à te dire. »
Elle ne prêtait aux rythmes complexes qui émanaient du piano qu’une
attention en apparence vague et oblique, pour ensuite les faire résonner
d’un seul doigt en clé de sol, en respectant parfaitement le tempo,
simplement pour le plaisir de montrer que rien ne lui avait échappé.
Une fois devenue adulte, elle marquait chaque temps avec une nonchalante
précision, et se frayait délicatement un passage le long des indications
de tempo avec une aisance telle que les espaces qui les séparaient acquéraient
une élasticité infinie. Elle pouvait se permettre de vagabonder tout
à sa guise, sûre par avance de l’endroit où devait se situer l’accent
suivant. Lorsqu’elle jouait, la structure du morceau se dessinait sur
un écran subliminal avant même que son instrument ne les traduisît .
Dans cette liberté presque illimitée que lui permettait son sens du rythme,
il lui fallait résister à la tentation de se contenter d’aligner une simple
succession de notes et à définir ainsi par mégarde chaque commencement
par rapport à une fin dont elle avait la prescience.
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