La marmite était râblée et pansue, et elle convenait tout aussi bien pour le potage ou les ragoûts que pour concocter les précieux fumets des poissons destinés à la soupe. Elle n’avait ni l’allure élancée de la cruche en forme de colonne ni l’éclat mat des poêles à frire. La bouilloire, pour sa part, s’enorgueillissait de courbes de cygne, et les cocottes faisaient étalage de gracieux ovales face à la bedaine sphérique, on ne peut plus terre à terre, de la marmite ventrue. Il ne restait donc guère à celle-ci d’autre ressource que de se montrer enjouée, et elle était suffisamment cabossée pour bringuebaler avec un bruit de ferraille tandis que son contenu mijotait. Ce bruit était un bon moyen pour attirer l’attention sur son activité, car le gargouillis graillonneux du lent processus d’ébullition dans ses flancs eût sans cela passé inaperçu, à côté des hurlements stridents de l’huile brûlante, du discret sifflement de la bouilloire qui s’enflait jusqu’à mugir comme une lugubre sirène, et du chuintement flatulent des Cocottes-Minute qui crachaient leur vapeur.

texte | john ricciardi       traduction | michelle tran van khai
musique | david murphy       art | nigerian

Bronze Bottle | Nigerian


       Plus la marmite prenait de l’âge, plus elle se laissait aller sans vergogne à ses accès de jubilation : elle oscillait dangereusement à force de glousser de rire, s’esclaffait et se vautrait sur les brûleurs de la cuisinière comme la carapace crépitante d’une tortue carbonisée. Aucun ustensile n’était désormais assuré de ne pas se faire bousculer, aucune surface parfaitement briquée n’était hors d’atteinte de la marmite lorsque celle-ci, agitée de soubresauts, crachait du bouillon, du jus de viande ou de la sauce. Cette stupide créature avait totalement perdu le sens des convenances ; elle était devenue sur le fourneau une fauteuse de troubles, une souillon baveuse. Bref, elle n’avait pas conservé le moindre vestige de retenue.

Vint alors un jour ce jour-là, l’enjouement de ladite marmite dépassait largement les bornes où la cuisinière, qui avait horreur du gaspillage, s’arma d’un marteau, d’une pointe et d’une lime, et c’est ainsi que la coupable dévergondée fut transformée en passoire et finit ses jours dans l’évier.

 

 

 

 

 

 

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