Plus
la marmite prenait de l’âge, plus elle se laissait aller sans vergogne
à ses accès de jubilation : elle oscillait dangereusement à force
de glousser de rire, s’esclaffait et se vautrait sur les brûleurs
de la cuisinière comme la carapace crépitante d’une tortue carbonisée.
Aucun ustensile n’était désormais assuré de ne pas se faire bousculer,
aucune surface parfaitement briquée n’était hors d’atteinte de la
marmite lorsque celle-ci, agitée de soubresauts, crachait du bouillon,
du jus de viande ou de la sauce. Cette stupide créature avait totalement
perdu le sens des convenances ; elle était devenue sur le fourneau
une fauteuse de troubles, une souillon baveuse. Bref, elle n’avait
pas conservé le moindre vestige de retenue.
Vint alors un jour ce jour-là, l’enjouement
de ladite marmite dépassait largement les bornes où la cuisinière,
qui avait horreur du gaspillage, s’arma d’un marteau, d’une pointe
et d’une lime, et c’est ainsi que la coupable dévergondée fut transformée
en passoire et finit ses jours dans l’évier.
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